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Emprisonné.e

31 Août 2024

Photos © Teona Goreci - Site

Vidéo : X-Ray

Texte lu dans le cadre du feu de camp de la nuit blanche organisée par "Haut Parleurs". Place du château à Strasbourg, le 31 Août 2024.


Emprisoné.e


Apparemment l'heure est aux confessions. 
Me voici devant vous, sans peur. 
Pas le moins du monde.


Obligée de vous parler avec ce masque, car sans celui-ci, j'en ai autant la capacité qu'un nouveau né.

Seul-e, je suis moi. Je vis au grès des jours, sans appréhensions.
Les regards, me forcent à exister.

Sans ce masque on me voit, on me croise, on me regarde, on me scrute. On rit aux yeux de la personne qu'on veut châtier du jugement de la société. 




Je vois devant moi ce carnet.
Je vois le noir du ciel.
Je vois le bois de la scène.

J'entends au loin cette conversation, dont personne n'a fait attention.
J'entends le bruit des vélos, passant. 
J'entends aussi passer le vent.

Je ressens le froid sur mon visage.
Mes bras, crispés par l'angoisse.
Je sens surtout, vos regards.

Un exercice simple pour se rappeler qu'on existe. Quand vous êtes pris-e-s par vos angoisses, citez trois choses que vous voyiez, entendez, ressentez. Et vous revoilà parmi nous, sur terre, dans votre société.

Cela devrait être facile pour vous. Un effort surhumain, pour la personne derrière ce masque.

Pour vous, exister semble naturel. Pour moi, ressentir n'est pas une obligation, c'est même rarement une possibilité.

L'exercice conscient d'exister n'a de pareil que la douleur de vous en parler.

Ces murs, qui s'érigent entre vous et moi. Cette incompréhension que vous ressentez face à mes mots si étrange. C'est là la seule émotion que l'on pourra partager.

Parce que c'est cette incompréhension qui guide mes journées. 
Face à ce regard que vous portez quand je bouge de manière étrange.
Face à ces remarques que vous m'imposez quand je ne vous regarde pas dans les yeux.
Face à vos critiques, car je ne comprends ni la métaphore ni la métonymie. 
Face à ces jugements, que vous me dites quand je ne peux pas interagir avec vous.

Quand j'ouvre les yeux sur le monde, je vois que je n'y suis pas la bienvenue. Parce que je suis étrange, jugée moins humaine car mon cerveau a eu la malchance de ne pas naître comme le votre.

Je ne ressens pas de manière consciente. J'ai besoin d'aide pour savoir quand je suis en colère. Je ne suis jamais, et ne pourrai jamais tomber amoureuxe. 

Mais je comprends les gestes. Le poing utilisé pour me frapper car j'ose exister. La main, qui glisse sur mon visage pour me calmer. Les bras, de cette personne venue me sauver.



Je suis spectatrice de ma propre vie.
J'offre en spectacle ma plus grande peur aujourd'hui.
Celle d'être vue que une bizarrerie.
Être renvoyée à être l'extraterrestre de vos vies.


Fantôme du passé et des futurs qui n'ont pas existé. Que l'on m'a arraché en m'empêchant de m'exprimer. Enfermé-e de force dans un corps qui m'a été imposée. Attaché-e derrière les murs que vous avec élevé. Ces murs, qui m'empêchent de comprendre

Vos émotions, vos réactions, vos mots et vos expressions.

Vous appeler cela l'autisme.

Vous en avez fait une prison.


Photos © Toena Goreci


Strasbourg
28 août 2024