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La multitude du groupe

23 mai 2024

Cinquante personnes, assises en arc de cercle devant une autre, seule face à elleux. Une salle trop chaude, peu accueillante au premier abord, des lumières trop fortes. Toustes réuni·e·s autour d'une idée plus grande que chacune de leur individualité réunie.

Une multitude de regards, de postures, certain·e·s éteint·e·s, fatigué·e·s. Iels parlent entre elleux. Leurs différences sont frappantes.

La personne devant elleux lance des regards, sans réponses. Il est difficile de capter l’attention. Ses cheveux longs, parfaitement attachés en arrière, sa posture assurée et fière, elle lève les bras d’un geste précis et fort. Elle lance une instruction, garde la pause les bras levés.

En un instant, les cinquante paires d’yeux se tournent vers elle. Le groupe si hétérogène devient une seule et unique entité.

Les sourcils se froncent sous la concentration. Les corps se redissent sous l’effort. Les sourires se forment, la joie, ou des techniques vocales, on ne sait pas exactement. Les notes qu’aucun·e ne connaissaient il n’y a que quelques semaines s’enchainent parfaitement. De ses bras jusque dans ses mains, la cheffe guide les entrées et les sorties de voix. Du bout de ses doigts, cinquante personnes ne deviennent qu’un·e.

Leur chant emporte tout sur son passage. Il fait oublier le temps et l’espace. Les murs de la salle de répétition sont eux-mêmes happé par la performance de ce groupe unique. Toutes les semaines, presque en cachettes, iels se préparent, iels apprennent, ensemble. Leur individualité disparait au profit de ses arrangements de musiques que – presque – toustes connaissent déjà en dehors de ces répétitions. Iels font ça sans autre public que les murs, toute l’année, un travail de longue haleine. Une discipline que l’on voit mixé avec une profonde amitié à chaque fin de petit moment de travail. La cheffe aura encore du mal à reprendre leur attention. Ce travail qui lie ce groupe, qui forme une famille très particulière, des jeunes Gen-z un peu perdue aux oncles qui ont des centaines d'anecdotes à raconter en passant par celleux qui sont dans le moment de la vie où on est trop occupé. Leurs différences forment un tout magnifique, on sent dans leurs regards et leurs gestes des sentiments au delà d'une simple amitié ou de simples échanges de courtoisies. Iels ont de l'importance, les un·e·s pour les autres. Iels se soucient, en groupe, des individus. Ce groupe est plus qu'un groupe de chant, bien plus.

Leurs chants s’articulent maintenant avec des chorégraphies groupées. Encore maladroite durant les répétitions. On se pose des questions, échanges des regards perdus, se replacent correctement. Leur chant est devenu si instinctif, en communion, mais aussi vacillant, quand on ajoute la difficulté des mouvements. Cette facette maladroite, leur humanité si simple, si touchante, fait ouvrir les yeux sur la réalité derrière se groupe si particulier.

Parce que tout ce travail entrepris depuis un an, il n’est pas gardé jalousement et secrètement. Dans quelques jours iels seront sur scène. Iels offriront au monde ce fruit de travail, d’engagement, de difficulté, mais aussi de joie immense. Iels seront fièrement sur les planches. Parce que ce groupe chante, danse, met en scène, joue sur scène, fait ses décors, ses maquillages, ses costumes, parce qu’iels peuvent. Et c’est là, dans cette liberté de se réunir et de créer que la beauté de ce groupe efface les difficultés et violences de leur existence. Iels portent dans l’art l’unité improbable de leur hétérogénéité. Parce que rien ne les rassemble, outre un fait discriminatoire imposé par une société qui a perdu son sens de l’humanité. Lesbiennes, Gay, Bi, Trans, Non-binaire, asexuelles, aromantiques, queer, pd, gouine, … L’unité de ce groupe est de connaître la discrimination pour un fait qu’iels n’ont pas choisi.

Lorsqu’iels chantent ensemble, iels sont indestructibles. Ni les peurs, ni les larmes, ni les flammes ne les arrêtent. Rien ne se mettra devant elleux. Au signe de la cheffe à chaque chant, à chaque levé de rideau, à chaque applaudissement, le groupe apparait. La multitude disparait au nom de la force du militantisme artistique, et en même temps cette différence entre elleux saute aux yeux de quiconque tenterait de comprendre ces messages. Dans la rue, hors de ces murs et de scènes, iels se cachent, font attention, leur existence même est remise en question. Les regards, les remarques, les agressions. Assomé·e·s par des lois et projets politiques visant à détruire qui iels sont. Le combat permanent d’exister, c’est la vie de la plupart d’entre elleux.

Dans la routine des répétitions, iels finissent par oublier l’importance et la force de ce qu’iels accomplissent. Car iels existent. Car iels sauvent. Car iels combattent. Car iels sont Pélicanto.


Pourquoi ?
23 mai 2024